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Julien Bonhomme

Ancien élève de l'École normale supérieure (promotion 1995) et agrégé de philosophie (en 1998), j'ai obtenu un doctorat d'anthropologie à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales en 2003 et une Habilitation à Diriger des Recherches à l'université Paris-Descartes en 2020. J'ai été maître de conférences à l'université Lumière Lyon-2 (entre 2006 et 2008), directeur-adjoint du département de la recherche et de l'enseignement du musée du quai Branly (entre 2008 et 2012) et maître de conférences à l'École normale supérieure (entre 2012 et 2022). Je suis actuellement directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales et chercheur au Laboratoire d'anthropologie sociale, dont j'assure en outre la co-direction depuis 2020.


J’étudie les pouvoirs de la parole en société à partir d’une approche ethnographique des échanges langagiers et, de manière plus générale, des pratiques de communication. L’analyse des interactions langagières et de leur enchâssement dans des contextes sociohistoriques plus larges vise à mettre en lumière comment les relations sociales sont produites et reproduites à travers ces échanges. Mes recherchent portent aussi bien sur la parole religieuse que sur les pratiques d’écriture, la circulation transnationale de rumeurs, la production et la réception de l’information journalistique ou la communication numérique. En variant les échelles d’analyse et en combinant les enquêtes ethnographiques et historiques, mes travaux relient l’étude détaillée de contextes d’interlocution à celle de processus sociohistoriques de plus vaste ampleur : la colonisation, la modernité urbaine, la mondialisation des médias et des technologies de communication. S’appuyant sur des enquêtes de terrain au Gabon et au Sénégal, ainsi que sur un travail d’archives sur l’Afrique coloniale, mon projet associe quatre volets thématiques connexes :

1. Rituel. Paroles, objets et images. Le premier volet porte sur l’exercice ritualisé de la parole, en contexte religieux notamment. En me penchant sur différents genres de discours (divination, serment, malédiction, incantation, panégyrique...) et types de spécialistes rituels (devin, prophète, marabout, griot…), j’examine comment la prétention à exercer un pouvoir par la parole ou à énoncer la vérité est construite et légitimée socialement. J’étudie également l’articulation de la parole avec les autres moyens d’expression mobilisés par le rituel, par exemple la musique, la danse, les images et les artefacts. En portant mon attention sur les images et les objets, j’ai été amené à examiner de quelles façons la figure de l’Européen a été intégrée dans l’univers symbolique des populations locales depuis le xixe siècle. Ce travail participe d’une réflexion plus large sur la situation coloniale afin de comprendre comment celle-ci a été pensée et vécue par les sujets colonisés.

2. Prophétisme. Religion, écriture et pouvoir. S’appuyant sur un travail dans les archives administratives et missionnaires, le second volet porte sur les usages de l’écriture au sein des prophétismes d’Afrique centrale. Manifestant l’autorité charismatique du prophète, ces écrits s’inspirent à la fois des religions du Livre et du modèle bureaucratique du document officiel. Ils renvoient à une idéologie scripturaire dont l’origine s’enracine dans la situation coloniale : instrument de pouvoir autant que de savoir, l’écriture est étroitement associée à ces deux piliers de l’ordre colonial que sont l’État et les congrégations missionnaires. C’est parce que les Européens ont massivement utilisé l’écrit pour asseoir leur domination que les sujets colonisés se sont appropriés ces signes de pouvoir afin de s’opposer à elle. Reprenant à nouveau frais les analyses wébériennes sur le charisme et la bureaucratie, j’examine ainsi comment l’écrit participe à la construction de l’autorité à la croisée des sphères politique et religieuse.

3. Sorcellerie. Des ragots familiaux aux rumeurs transnationales. Le troisième volet porte sur la sorcellerie et les dynamiques de la parole accusatrice. J’étudie la circulation des ragots liés à la sorcellerie en montrant qu’il s’agit d’une stratégie de communication indirecte permettant d’esquiver le conflit frontal dans un groupe d’interconnaissance comme la famille ou le voisinage. J’étudie en outre une série de rumeurs de sorcellerie ayant circulé à une échelle plus vaste, parfois à travers tout le continent africain. J’analyse comment ces rumeurs sont propagées par le bouche-à-oreille, mais aussi les médias et internet. J’examine comment elles mènent à des accusations publiques, des violences et des lynchages. Loin d’être de simples faits divers, ces rumeurs sont des affaires exemplaires permettant d’éclairer les sociétés africaines contemporaines sous un jour original. Prolongeant ce travail sur la production, la circulation et la réception des fausses nouvelles, je m’intéresse également aux « infox », aux théories du complot et aux arnaques en ligne.

4. Lutte sénégalaise. La fabrique de la renommée. Le dernier volet porte sur la lutte sénégalaise, véritable passion nationale dans le pays. Je retrace l’histoire de la transformation de la lutte villageoise en un sport-spectacle à l’époque coloniale. En parallèle, mon ethnographie suit toute la chaîne des acteurs et des institutions de la lutte : les lutteurs et les « écuries » où ils s’entraînent dans les quartiers populaires de Dakar et sa banlieue ; les instances officielles chargées par l’État d’encadrer la pratique sportive ; les promoteurs, les sponsors et les notables qui organisent, financent ou parrainent les combats ; les médias qui en assurent la publicité ; les griots qui chantent les louanges des champions ; les marabouts qui s’occupent de leur « préparation mystique ». J’étudie en particulier les mobilisations collectives autour des lutteurs et des espoirs de réussite qu’ils incarnent. Aucun lutteur ne peut réussir sans le soutien de sa famille, son quartier et son village d’origine. Pour ce faire, il doit accomplir tout un travail réputationnel afin de cultiver sa renommée. En plaçant au centre de mes analyses la « popularité », valeur cardinale de l’arène, je propose une réflexion plus générale sur les logiques sociales de la notoriété et de la célébrité au-delà du seul champ sportif.


 

         
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